L'Affaire Baby-Loupe, Les Juges Oubrent La Boite de Pandore

AuthorFélix Thillaye
PositionStudent at Sciences Po Paris, Master candidate at the École de Droit de Sciences Po
Pages242-259
© 2014 Félix Thillaye and Dublin University Law Society
L’AFFAIRE BABY-LOUP, LES JUGES OUVRENT LA
BOÎTE DE PANDORE
FÉLIX THILLAYE*
La religion avait trouvé sa place dans l’entreprise. En effet, au fil des
affaires, Cour de cassation et Cour Européenne des Droits de l’Homme
étaient parvenues à concilier protection des libertés fondamentales et bon
fonctionnement de l’entreprise.
Au vu de l’imposant arsenal législatif protégeant la liberté de
religion, la tâche était considérable.
En effet, dès 1789, la liberté de religion fût érigée au rang de liberté
fondamentale.
1 Ce statut a été réaffirmé par l’article 9 de la Convention
Européenne des Droits de l’Homme. De plus, cette liberté est
spécifiquement protégée dans les relations de travail. Ainsi, aucun salarié
ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison de ses
convictions religieuses. 2 De la même manière, le règlement intérieur d'une
entreprise ne peut contenir de dispositions discriminant le salarié en raison
de sa conviction religieuse. 3
Ainsi, dans sa délibération en date du 14 janvier 2008, 4 la Haute
Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (la HALDE)5
avait considéré qu’un organisateur de voyage de classe en mer ne pouvait
imposer à des candidats un régime alimentaire identique à ceux des enfants
alors même que la mission prévoyait une implication “dans tous les actes
quotidiens, (...) comme les temps de repas qui ne sauraient être dissociés
de la dynamique générale. 6 Pour la HALDE,
cette règle a pour effet d’entraîner un désavantage particulier
pour des personnes désireuses de suivre un régime
alimentaire, en raison de leurs convictions religieuses ou de
leur état de santé. En conséquence, le Collège de la haute
* Student at Sciences Po Paris, Master candidate at the École de Droit de Sciences Po.
1 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, article 10.
2 Code du travail, article L 1132-1.
3 Code du travail, article L 1321-3
4 Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), délibération n°
2008-10, 14 janvier 2008.
5 Cette autorité a été dissoute le 1 mai 2011 et remplacé par le Défenseur des Droits.
6 Extrait de la délibération.
2014] L’Affaire Baby-Loup 243
autorité constate que la procédure de recrutement (…) peut
avoir pour effet une sélection des candidatures sur la base de
critères discriminatoires.
Cela étant, les juges de la Cour de cassation ont pu assouplir ce dispositif
en se fondant sur l'article L. 1121-1 du Code de travail. Ce dernier dispose
que
Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas
justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au
but recherché.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme quant à elle, a pu se
fonder sur l’alinéa 2 de l’article 9 de la Convention qui autorise les
entraves à la liberté de religion à la condition qu’elles constituent des
mesures nécessaires et qu’elles soient prévues en droit national.
Ces dispositions ont permis aux juges nationaux et conventionnels
de traiter le fait religieux dans l’entreprise de manière objective. Pour ce
faire, les comportements traduisant une appartenance à une religion sont
traités de la même manière que toute liberté individuelle. Ainsi, la
compatibilité du port d’un vêtement avec l’activité de l’entreprise sera
appréciée sans référence à sa nature religieuse.
Deux emblématiques arrêts de la Cour de cassation illustrent cet
équilibre.
Dans une première affaire, la Cour de cassation a eu à se prononcer
sur le licenciement d’un agent technique qui portait un bermuda sur son
lieu de travail.
7 Le salarié contestait le licenciement au motif qu’il portait
atteinte à la liberté de se vêtir qui constituait, selon lui, une liberté
fondamentale. La Cour de cassation le déboute en termes clairs
Mais attendu que si, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du
travail, un employeur ne peut imposer à un salarié des
contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la
nature des taches à accomplir et proportionnées au but
recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu
du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés
fondamentales
7 Cour de cassation, chambre sociale, 28 mai 2003, n° 02-40.273.

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