La propriété intellectuelle à l'ère numérique

AuthorAlain Girardet
PositionConseiller, Cour de Cassation
Pages100-108
IRISH JUDICIAL STUDIES JOURNAL
[2018] Irish Judicial Studies Journal Vol 2(2) 100
LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE À LÈRE NUMÉRIQUE
Alain Girardet
Conseiller, Cour de Cassation
L’idée que l’auteur, d’une oeuvre ou d’une invention, puisse détenir sur celle-ci
un droit exclusif, assimilé à un droit de propriété, s’est progressivement imposée
en France au fil du XVIIIème siècle, comme le relève Sir Colin Birss. Certes, le
roi pouvait déjà accorder à l’auteur et à l’inventeur une exclusivité d’exploitation
sous la forme d’un privilège concédé, comme ce fut la cas en 1538 pour
Clement Marot et en 1554 pour Ronsard. Mais ce n’était pas un droit. Au
XVIIème puis au XVIIIème siècles, les débats s’animèrent et un juristes comme
Domat ( 1625-1696) milita pour que l’inventeur de choses nouvelles reçût une
contrepartie à l’exploitation de sa création ( The civil law in its natural order, vol
1), puis Malesherbes, Rousseau, Voltaire, Diderot, Beaumarchais et bien d’autres,
appelèrent de leurs voeux, la reconnaissance d’un droit d’exploitation propre à
l’auteur, transmissible à ses héritiers pour assurer leur subsistance, ce que rappelle
la citation mise en exergue. A partir de 1760, plusieurs décisions judiciaires
consacrèrent ce droit. Les héritiers de La Fontaine, puis ceux de Fénélon en
furent les premiers bénéficiaires. La Révolution n’a fait que tirer les conséquences
des évolutions déjà intervenues.
Mais il faut noter, ici, l’écho qu’eut en France le statute of Anne de 1709, relatif
aux droits des éditeurs. En effet, les éditeurs parisiens, qui souhaitaient obtenir
les mêmes avantages que ceux de leurs homologues londoniens, se référèrent aux
écrits des juristes et philosophes anglais tels ceux de John Locke. Les idées ont
traversé le Channel. Les Britanniques, qui considéraient que la propriété de
l’auteur ne pouvait être éternelle et les Français, qui sacralisaient le travail de
l’auteur, sont assez vite arrivés à la conclusion que la propriété de celui-ci sur son
oeuvre était une propriété bien singulière. Comme le relève Michel Vivant
1
cette
singularité résidait, selon la conception française, dans le fait que la propriété
intellectuelle trouvait sa source et sa limite dans la personne même de l’auteur,
alors que, selon la conception britannique, l’appropriation privative ne devait pas
se traduire par un appauvrissement indu du domaine public. Le parallélisme des
deux histoires, s’est retrouvé, dans la portée des droits que nos juridictions
respectives ont, au fil des ans, reconnus aux auteurs.
1
Michel Vivant , droit d'auteur et droits voisins , 3ème édition no11

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